Grindadrap et îles Féroé

LE GRINDADRAP ET LES ÎLES FÉROÉ

Les Îles Féroé sont territoire autonome du Danemark. L’Archipel perdu dans l’Atlantique Nord, a tout pour attirer les visiteurs naturalistes et photographes. La nature y est sauvage et conservée. Mais cet isolement présente son revers de médaille, le Grindadrap.

Malheureusement cet archipel pratique depuis les années 1700 (et sans doute avant, Kerins, 2010) une chasse aux petits cétacés. Les féroïens appelle cette chasse Grindadrap et la considèrent comme une chasse de subsistance. A chaque événement de chasse, ils distribuent la « viande de cétacés » . Le butin est offert gratuitement à la population, en priorité aux chasseurs, puis aux habitants du district du lieu de chasse.

Lors de ces Grindadrap, des groupes entiers de globicéphales, poursuivis par des bateaux, s’échouent dans une baie aux eaux peu profondes. Dès lors, es chasseurs peuvent les abattre. Ces chasses sont ponctuelles, et pratiquée de manière opportuniste. Quant aux « baleiniers » , ils ne sont pas professionnels. Ils sont récompensés en viande mais ne vivent nullement de cette activité (Fielding et al., 2015). Depuis le 18e siècle, 800 globicéphales et 100 dauphins de diverses espèces ont été abattus chaque année. 6.3 événement de Grindadrap se produisent en moyenne chaque année (Fielding 2013b).

LE GRINDADRAP DANS LA CULTURE DES FEROÏENS

Le poète féroïen du 18e siècle, Sanderson fait remarquer que « Oui, c’est un massacre, un spectacle épouvantable pour quiconque se tient sur le rivage en train de regarder paisiblement. » Ces chasses apparaissent aux yeux des observateurs comme un chaos violent et confus. Pourtant, elles sont depuis quelques années déjà très réglementées (Joensen 2009 ; Fielding, 2015).

Mais comment lutter contre le Grindadrap, alors que les habitants le considère comme faisant partie intégrante de leur culture (Nauerby 1996 ; Joensen 2009) ? Comment lutter alors que les féroïens voient en cette chasse un événement culturel renforçant les liens sociaux entre les îliens ? Comment se battre alors que les acteurs considèrent les combats des ONGs internationales comme une ingérence ?

 

LE GRINDADRAP AU FIL DU TEMPS

Les îles Féroé gèrent de manière plutôt durable leur environnement. Les Grindadrap sont des événements traditionnels qui aux yeux des îliens ont pour rôle l’approvisionnement en nourriture de nombreuses familles. Aussi, ces chasses maintiennent une cohésion sociale qui n’a pas toujours été simple entre les habitants (Pouillon F. et Laslaz L., 2019).

L’histoire témoigne d’une baisse drastique de ces épisodes de chasse avec la diminution des populations de cétacés. Malheureusement, une recrudescence de ces chasses a eu lieu lorsque l’économie l’imposait et reposait sur l’exploitation de la mer (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). Aussi, l’intérêt pour la tradition était quant à lui en baisse, jusqu’à une soudaine recrudescence suite à l’ingérence de nombreuses ONGs. La cohésion des îliens s’étant alors faite non plus autour du Grindadrap mais contre ces « juges venus de l’extérieur ». Pour mettre fin à cette tradition dérangeante, il est important d’informer sur ce phénomène. Comprendre les tenants et aboutissants pourrait permettre de ne pas répéter les erreurs passées et d’agir en conséquence. 

L’INGÉRENCE EST-ELLE UN BON CHOIX DE LUTTE?

L’ingérence étant prohibée, plusieurs choix s’offrent à chaque personne investie dans la cause animale. Premièrement, il fallait boycotter le pays, lutter de manière illégale contre cette « tradition » qui nous opposent, Sinon, il fallait comprendre, apprendre et tenter de changer le cours des choses de manière sensée et durable.

Les ONGs médiatisent l’événement et déploient des réactions offensives face aux chasseurs. Les îliens percoivent ces actes comme un impérialisme culturel, une ingérence contre-productive (Kerins 2010). Ceci n’a eu pour effet que de provoquer un esprit de contradiction exacerbé des îliens et une cohésion sociale grandit autour des Grindadrap. Ainsi, les îliens qui n’étaient pas en faveur de ces chasses ont alors retourné leur veste (Fielding et al., 2015). 

LE BOYCOTT D’UN PAYS POUR LE GRINDADRAP, LE BOYCOTT DU MONDE POUR TOUTES LES AUTRES CHASSES

Le boycott d’un pays est un acte qui peut être lourd de sens et de conséquences. Ces conséquences ne sont malheureusement pas toujours celles tant attendues. Le boycott d’un pays pour protester contre une tradition, une culture, une mauvaise gestion de l’environnement ou encore pour les droits des animaux devrait et pourrait s’appliquer à de nombreux pays du monde. Nous devrions boycotter l’Islande, la Norvège et une partie du grand Nord pour leur pratique de la chasse commerciale. Nous pourrions également boycotter la France, pour le nombre dramatique de captures accidentelles des cétacés dans ses filets de pêche. Bien d’autres pays font preuve d’un grand manque de respect pour la nature et la faune dans sa globalité. 

CHANGER LES MENTALITÉS EN CHANGEANT LES INSTITUTIONS?

Pousser les différentes institutions ou politiques concernées de près ou de loin par la chasse aux petits cétacés, et donc par le Grindadrap à s’impliquer d’avantage dans la gestion de ces chasses est une piste de travail à ne pas négliger. Pour l’instant, la CBI refuse toute intervention sous prétexte que les globicéphales sont des cétacés à dents. En effet les pays membres de la CBI réglementent leurs propres captures de petits cétacés (Fielding, 2010). Quant au Danemark, plutôt que de réglementer cette chasse préfère encore pour l’instant fournir aux îles Féroé toutes les aides possibles. Ainsi, il leur attribue une subvention annuelle, des forces de polices et des forces militaires pour entretenir les Grindadraps (Fielding, 2010). Convaincre CBI et Danemark pourrait ne pas être vains.

FAIRE DU TOURISME UNE RAISON ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DE CHANGER

Enfin, le boycott du pays en termes de tourisme n’est pas une solution valable aux yeux de Wild Seas Explorer. Les Îles Féroé, territoire autonome du Danemark, ne démontre aujourd’hui plus un besoin essentiel de nourriture provenant du Grindadrap. Le tourisme y est encore peu développé et ne représente pas un apport économique fort. Un boycott s’il devenait total, priverait cependant l’archipel de tout développement touristique. Ôter une telle perspective à un territoire ne peut que l’obliger à se refermer sur une politique et une économie interne. L’économie la plus simple et évidente pour les Féroé est celle de la pêche et de la chasse.

BOYCOTTER DES PRODUITS PLUTÔT QU’UN PAYS

Le boycott des produits d’exportation des Îles Féroé reste une option intéressante, un boycott intelligent. Cesser les échanges avec les Îles Féroé à moins qu’elles ne cessent leurs activités de chasse à la baleine diminuerait le marché du poisson des Îles Féroé (Fielding, 2010). Dans ce cas, les Féroïens pourraient abandonner volontairement la chasse à la baleine, une activité non commerciale, pour sauver leurs pêcheries (leur principale source de revenus) du boycott international (Fielding, 2010). Une partie des produits auparavant dédiée à l’exportation pourrait ainsi être consacrée à remplacer la viande de cétacés.

La médiatisation (et le boycott des produits féringiens qui en a découlé) n’a pas permis de faire cesser cette pratique. Cependant, elle a entraîné la mise en place de méthodes de mise à mort moins inhumaines. Le revers de la médaille a été de renforcer la durabilité de « l’exploitation des petits cétacés » (Fielding, 2010).

Les ONGs n’encouragent actuellement aucun boycott ou protestation majeur. Ces organisations environnementales, Greenpeace, Sea Shepherd et la Fondation Whaleman maintiennent cependant leurs positions contre le Grindadráp (Fielding, 2010). 

 

CHANGER DES ARMES DU GRINDADRAP CONTRE DES JUMELLES

Cette évolution historique de la chasse aux cétacés vers l’observation naturaliste a déjà eu lieu par le passé, aux Açores. Cet Archipel qui vivait principalement de la chasse du Cachalot a choisi de développer une économie touristique en lieu et en place d’une économie de chasse. Les critiques des quelques touristes de passage et la diminution des populations de cachalots ont certainement été le moteur de ce changement.

Regarder la culture d’un pays à travers son propre prisme, ne permet que des incompréhensions à bien des égards. Et un combat qui se base sur ces incompréhensions ne peut être mené à bien.

 

WILD SEAS EXPLORER, L’OBSERVATION DES CÉTACÉS ET LES ÎLES FÉROÉ

Les Îles Féroé pratique le Grindadrap, la chasse aux cétacés et plus particulièrement la chasse aux globicéphales. Actuellement il est impossible d’observer les animaux sans être obligés de les signaler aux chasseurs (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). Cette décision s’est imposée pour éviter l’intervention des ONGs dans les affaires de l’Archipel (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). C’est pourquoi Wild Seas Explorer refuse catégoriquement de proposer un voyage ou une simple sortie en mer aux Îles Féroé. Nous refusons de prendre le risque de devoir donner une information qui pourrait nuire aux animaux. Nous essaierons cependant de contribuer à une évolution de la chasse vers le tourisme d’observation et le tourisme scientifique.

LA POSITION DE WILD SEAS EXPLORER VIS A VIS DU GRINDADRAP

Il est bien entendu impossible et impensable pour Wild Seas Explorer d’utiliser des moyens illégaux pour parvenir à notre fin. Nous laissons la place à des ONGs et à des organismes ou associations plus organisées en ce sens. Mais surtout, nous pensons que les îliens vivent ces actions, les arguments et les méthodes utilisées comme de l’écoterrorisme. Ces actions ne font que renforcer de plus bel la mobilisation des insulaires autour de cette chasse. Une cause, la plus noble soit elle, ne peut que très rarement être imposée par la force.

 

QUAND LA PROTESTATION FAVORISE CE QUE L’ON REJETTE

Les protestations semblent avoir un effet néfaste sur la réalisation de tout changement durable. Elle enracine la chasse. En effet, elle pousse la population qui pourraient envisager de s’opposer à la chasse à finalement s’y ranger pour ne pas se rallier à des étrangers qui les pointent du doigt (Earthrace, 2014). De même, un espace commençait à s’ouvrir aux féroïens pour qu’ils s’opposent au Grindadrap. Cet espace a fermé et ceci est attribué à la présence de militants de l’étranger contre le Grindadrap. En effet le débat n’était plus de savoir si ils devaient maintenir le Grindadrap mais de savoir si l’on était féroïen ou non (Singleton et Fielding, 2017).

Nous croyons en la discussion, en la persuasion. Aussi nous soutenons bien sûr ces organisations dans bien des combats. Notre bataille, si elle se fait sur un chemin différent défend la même nature. Nous pouvons travailler de manière constructive avec les féroïens et faciliter le changement, ou nous pouvons travailler contre eux et peut-être faire en sorte que la chasse aux cétacés se poursuive indéfiniment (Earthrace, 2014).

 

WILD SEAS EXPLORER VEUT CROIRE QUE L’ON PEUT TROQUER DES HARPONS CONTRE DES JUMELLES

Notre objectif est de montrer un intérêt naturaliste à la région en excluant toutes participations à cette chasse. Le Grindadrap se pratique pour des raisons économiques. Alors, il nous faut montrer que l’économie peut aussi reposer sur un tourisme durable. En 2009, près de 25 % des touristes auraient pratiqué l’observation de cétacés en Islande (Cunningham et al., 2012). L’activité touristique est compatible avec la chasse. Mais elle l’emportera à terme, pas d’un point de vue éthique mais économique (et c’est tant mieux). Il semblerait en effet que le lien entre le whale watching, l’écotourisme et les discours sur la durabilité des activités maritimes, servent de moteur aux discours sur l’évolution de la chasse aux cétacés (Cunningham et al., 2012). Les prélèvements de cétacés évoluent ainsi, comme d’autres activités de chasse, vers l’observation (Chanteloup, 2015). 

L’HOMME EST DANGEREUX POUR L’ANIMAL, MAIS SI L’ANIMAL DEVENAIT DANGEREUX POUR L’HOMME?

La pollution croissante met cependant à mal la chasse aux cétacés (Fielding, 2010). Il est maintenant convenu que les cétacés doivent être exploités collectivement et la gestion de la chasse doit être fondée sur la science (Singleton et Fielding, 2017). Les résultats sur la toxicité de la viande de cétacés pourraient alors avoir un fort impact sur le Grindadrap et la consommation de viande. Les cétacés bio-accumulent polluants et métaux lourds. Leur comestibilité est largement remise en cause (Fielding, 2010 ; Fielding, 2013).

 

Depuis 2012 les autorités de l’archipel conseillent de ne plus consommer de viande de cétacés (Weihe et Joensen, 2012). Les Féroïens ressentent « l’amère ironie » de devoir demander à leurs communautés de changer de régime alimentaire pour une pollution leur étant infligée depuis l’extérieur. Il est certain que le problème sanitaire pèsera aussi dans la balance, en la faveur des fervents défenseurs de la nature (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). Mais pour l’instant, de nombreux féroïens semblent ne pas prendre au sérieux ces conseils sanitaires (Singleton et Fielding, 2017). La science seule pourra les convaincre.

ET SI LE TOURISME POUVAIT PESER DANS LA BALANCE CONTRE LE GRINDADRAP?

Il faut montrer que les visiteurs veulent explorer les Îles Féroé pour leur nature, leurs paysages et leurs animaux vivants. Soustraire ces encore faibles revenus touristiques à une économie complètement décentrée du tourisme ne peut qu’augmenter la pression et le renfermement sur les autres sources de revenus, soit l’élevage, la chasse et la pêche. Des études montrent que deux positions s’opposent. La position des insulaires est en faveur du Grindadrap. La position des personnes exogènes est contre (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). Donc, c’est bien les insulaires qu’il faut persuader de l’intérêt économique de garder une espèce en vie. En boycottant et en accusant un pays, nous unissons les habitants autour du Grindadrap. Nous éveillons l’intérêt des jeunes, non parce qu’ils s’intéressent à la chasse, mais parce qu’un autre mode de vie leur est imposé (Pouillon F. et Laslaz L., 2019). 

L’objectif est donc double. Il ne faut pas priver un pays ou une région d’une opportunité de développement économique et touristique durable. Parallèlement il faut lui faire prendre conscience des possibilités qu’offre la nature. Nous espérons qu’à termes, les féroïens réaliseront, comme l’ont fait les açoriens avant eux pour les cachalots ou encore les cambodgiens pour les dauphins d’Irrawady, qu’il y a tout à gagner à protéger la nature. Que l’on peut troquer des fusils ou des harpons contre des jumelles et des appareils photo.

 

SOURCES

Chanteloup Laine, 2015, Du tourisme de chasse au tourisme d’observation, l’expérience touristique de la faune sauvage – l’exemple de la réserve faunique de Matane (Québec)Téoros [Online], 32-1 | 2013, Online since 15 December 2015.

Cunningham P., Huijbens E. H. & Wearing S. L., 2012. From whaling to whale watching: examining sustainability and cultural rhetoric, Journal of Sustainable Tourism, vol. 20; n°1, p. 143-161.

Earthrace Conservation, Fighting the faroese. 30 Septembre 2014. https://www.earthrace.net/fighting-the-faroese-captains-blog-29-september-2014/

Fielding R., 2010. Environmental change as a threat to the pilot whale hunt in the Faroe Islands, Polar Research, vol. 29, n°3, p. 430-438.

Fielding, R. 2013b. Whaling Futures: A Survey of Faroese and Vincentian Youth on the Topic of Artisanal Whaling. Society and Natural Resources 26(7): 810-826

Fielding Russel, Davis John E., Singleton Benedict E., 2015. “Mutual Aid, Environmental Policy, and the Regulation of Faroese Pilot Whaling”, Human Geography, vol. 8, n°3, p. 37-48.

Joensen, J.P., 2009. Pilot Whaling in the Faroe Islands: History, Ethnography, Symbol. Tórshavn: Faroe University Press.

Kerins, S., 2010. A Thousand Years of Whaling. Edmonton: CCI Press.

Nauerby, T. 1996. No Nation Is an Island: Language, Culture, and National Identity in the Faroe Islands. Aarhus, Denmark: Aarhus University Press.

Pouillon F. et Laslaz L., 2019. Le Grindadráp aux Îles Féroé : une approche géographique d’une controverse environnementale, Géoconfluences.

Singleton Benedict E. & Fielding Russel, 2017, “Inclusive hunting: examining Faroese whaling using the theory of socio-cultural viability”, Maritime Studies, vol. 16, n°1, p. 430-438 [pdf].

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